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Chapitre 4

Le monde parallèle.

 

La soirée s’annonce magnifique.

Le soleil en se couchant embrase le village. Les dernières lueurs disparaissent, remplacées par la lumière feutrée de la lune qui prend la relève pour veiller sur la Terre.

Tout est calme. Au loin, de discrets murmures se font entendre, instants de vie des habitants de la plaine du Bien Tranquille.

Tothan, Dollyth et Tauriel se font des confidences, parlent de leurs rêves et surtout de leur envie de découvrir de nouveaux espaces.

Ils se souviennent de leur dernière aventure et se désolent d’avoir été si peu responsables. Mais l’envie de repartir est tenace et rien ne semble plus important à leurs yeux.

Ils décident de s’organiser avec davantage de sérieux pour leurs futures aventures. D’abord bien choisir le lieu, ensuite mettre sur pied l’organisation, puis la durée et enfin le ravitaillement…

  • Oh, c’est bien compliqué cette affaire ! Moi, je ne réfléchis pas, je m’envole et puis voilà ! affirme Tauriel

  • Nous n’aurions jamais dû partir comme cela. Dorénavant il est indispensable de mieux nous organiser, insiste Dollyth

  • Oh, vous être trop sérieux,  il ne m’est jamais rien arrivée lorsque je suis partie comme ça, soupire Tothan.

 

Mais, l’amusement l’emporte sur la raison. Espiègle, Tothan tente d’attraper Dollyth qui s’envole rapidement au-dessus  de la maison, en rigolant. Et cela énerve terriblement Tothan qui ronchonne.

  • Ce n’est pas juste ! Je n’ai pas d’ailes. Alors forcément, je ne pourrai jamais t’attraper !

 

Tauriel lève les yeux au ciel et tente de calmer les garçons. Il se fait tard, il est temps de rentrer à la maison se reposer.

 

Au fait, où Tauriel dort-elle ?

Tauriel est une fée. Et comme la plupart d’entre-elles, elle vit au Royaume des Faé, lorsqu’elle ne se promène pas par monts et par vaux.

Ce royaume est partout et nulle part à la fois. Il n’existe aucune frontière, seule la brume le met à l’écart du reste du monde. La nature y est sauvage. De grands lacs forment des paysages différents selon l’orientation de ceux-ci, au nord ou au sud. Les lacs communiquent entre eux par de petits bras d’eau. Ces espaces deviennent alors des aires de jeux pour les habitants de ce royaume. Véritable oasis de verdure, où le climat est le plus doux qu’il soit.

Dans cet univers féérique, la nature y est honorée. Chaque fleur, chaque plante, chaque arbre sont respectés. Si la nature venait à dépérir, nos gentilles enchanteresses la soigneraient grâce aux recettes ancestrales qui ne sont connues que d’elles. Prenez gare, si vous maltraitez les arbres et les plantes, vous mettriez les fées très en colère ! Evitez de le faire, car elles en sont les gardiennes !

La demeure naturelle des fées est la forêt. N’étant pas de grandes bâtisseuses, elles préfèrent l’abri de nids provisoires situés dans les branches des arbres ou dans de simples huttes de végétaux tressés. Elles y vivent en toute quiétude.

Tauriel, notre petite fée espiègle, dort au sommet d’un arbre. Rappelez-vous, son rythme du sommeil est légèrement décalé. Elle se couche bien plus tard que ses amis, vaquant ainsi à ses occupations ; il lui faut très peu de sommeil ce qui lui permet d’être présente lorsque que Tothan et Dollyth se réveillent.

Elle possède une modeste cabane avec deux petites pièces très éclairées. L’une d’elle accueille l’essentiel de sa garde-robe glanée parmi les végétaux. Malgré le soin qu’elle porte à ses tenues, celles-ci se fanent au fur et à mesure que les saisons passent.

Notre Tauriel rentre chez elle pour un repos bien mérité.

 

Mais qu’en est-il pour Dollyth et où se repose-t-il ?

 

Son pays est très loin…

 

Que savons-nous des dragons ? En somme, peu de choses.

Nous savons qu’ils habitent souvent dans des grottes, des falaises ou des donjons. Or, dans la plaine du Bien Tranquille, il n’y a ni grotte, ni falaise et aucun donjon.

 

Alors où Dollyth va-t-il dormir ce soir ?

 

Tothan, après en avoir décidé avec ses parents, invite son ami Dollyth à dormir dans le grenier de sa maison. Cela a demandé toute une installation, car malgré sa petite taille pour un dragon, il est quand même bien grand pour un grenier.

 

Pépito et Mamita ont agrandi la lucarne et rangé le bric-à-brac. Après avoir étendu de la paille sur le sol, il fallait trouver un coin pour l’accueillir. Une question taraude Pépito : aucune poutre n’est assez haute pour que notre dragonnet dorme la tête en bas !

  • La tête en bas, s’offusque Dollyth, mais pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas une chauve-souris !

  • Pardon, Pardon ! Je ne suis pas habitué au dragon, regrette Pépito, désolé mon ami, ne m’en veut pas !

 

Tothan s’exclame et chantonne :

  • Whouaah !! Dollyth est une chauve-souris ! Dollyth est une chauve-souris !

 

Mamita et Pépito regardent Dollyth avec inquiétude. Ce dernier éclate de rire et danse, trop content de son installation. Au bout d’un moment, il se love sur la paille et s’endort.

 

Le lendemain matin…

 

Aussitôt levés, Tothan et Dollyth vont chercher Tauriel.

  • Bon, que faisons-nous aujourd’hui ? Demande Tauriel, tout en vérifiant sa tenue, dans le reflet d’une goutte de rosée.

  • On va courir dans la plaine ? dit Tothan. Puis, nous pourrions aller rendre visite à Dénothor, l’elfe sylvain qui vit dans la forêt.

 

Voila, un prétexte pour retourner dans la forêt ! Mamita et Pépito ont interdit à Tothan et ses amis de s’y rendre. En effet, les parents restent encore affectés par la balade qui a failli mal se terminer pour nos trois petits diables.

 

C’est décidé, nos espiègles iront à la rencontre de Dénothor et on verra ce qui se passera !

 

Mais ils arrivent en plein drame. En effet, les elfes ont été attaqués par le peuple de la forêt d’en Face qui a enlevé leurs enfants.

 

Que puis-je vous dire sur le peuple d’en Face !

 

Un bien étrange peuple qui a toujours existé. Personne ne peut dire à quoi ces êtres ressemblent. Ce que l’on sait d’eux est écrit dans de vieux grimoires qui ont servi à alimenter des contes. Il y est dit qu’ils sont pacifiques. Mais il y a peu d’informations sur leur vie au quotidien. Il y est dit aussi qu’ils n’ont pas de forme. Si, par hasard, un elfe les « voit », il vous dira avoir aperçu une sorte de mouvement imperceptible dans l’espace laissant des traces éphémères sur le sol. Personne ne connait leur nom et, cela reste un mystère. Certains les ont baptisé « les furtifs », d’autres ne les appellent pas tout simplement ou bien les désigne comme étant « Eux ! ». Quant aux elfes, ils les ont nommé le peuple de la forêt d’en Face.

 

Quand bien même si personne ne peut les décrire, ils sont réels. Tous les dix ans, ce peuple part à la chasse durant deux semaines. Pas n’importe quelle chasse ! Les êtres de la forêt d’en Face envahissent la terre du Milieu pour enlever des elfons et des elfonnes.

 

Conscients du danger, les elfes enferment leurs bébés chez eux en attendant que la période se calme. Il devient alors difficile de les enlever. Sauf que ce jour là, l’elfe en charge de les surveiller a manqué de vigilance. Pris par surprise, il a été purement et simplement assommé, ligoté et abandonné aux abords du village.

 

Comme je vous le disais, les gens de la forêt d’en Face sont étonnants. Ils ne sont ni violents et ne semblent pas cruels, même s’ils enlèvent les elfons ! Qu’en font-ils ? Que leurs veulent-ils ?

Ce qu’ils font des enfants a été, pendant très longtemps, une véritable énigme. Puis au fur et à mesure du temps et selon certains écrits, il a été évoqué des rituels de passage nécessaires à leur transformation. En effet, les jeunes gens de ce peuple doivent subir une initiation pour devenir adulte. Ces rites ne sont pas connus des néophytes. Et de fait, aucun non-initié ne peut en connaître le secret.

 

Instruits dès leur plus jeune âge, les garçons et les filles poursuivent leur enseignement jusqu’à leur consécration. Nul ne peut y échapper, cela permet d’assurer une continuité entre le passé et le présent. Ce qui est à retenir est que, lors de cette initiation, les jeunes hommes et femmes se recouvrent le corps de poussière d’or.

 

Pourquoi attaquer spécialement les elfes ?

 

Un elfe acquiert l’immortalité peu après sa naissance grâce à la poudre d’or qui recouvre ses ailes. À  l’adolescence, la poussière se décolle des ailes et vient nourrir la Terre. Ce processus est la plupart du temps conditionné par un rituel de passage qui magnifie la nature et maintient la lignée des elfes sylvains. Le peuple de la forêt d’en Face ne possède pas ce précieux sésame. Or ils en ont besoin pour pratiquer cette cérémonie et c’est la raison pour laquelle ces êtres pourchassent les elfes.

 

Gardés prisonniers jusqu’à leur adolescence, les elfons sont relâchés ensuite. Ils rentrent chez eux dépouillés, non seulement de leur poussière d’or, mais également de leur mémoire. Ils sont retrouvés errants dans la forêt, incapables d’apporter des réponses aux questions des parents.

Privé de cette poudre, le peuple des elfes se meurt tout doucement. Mais de cela, le peuple de

la forêt d’en Face ne le sait pas.

 

Rappelez-vous, ces deux peuples évoluent dans deux mondes différents, ne se côtoient pas et ne se connaissent donc pas.

 

Tothan, Tauriel et Dollyth trouvent le village en plein émoi. Dénothor est affolé car l’un des elfons enlevés est son enfant. Déyathy, sa jeune épouse, gémit. Elle reste anéantie et pleure en silence les yeux fixés à l’horizon.

  • Que se passe-t-il ? s’inquiète Tothan.

  • Nos enfants ont été enlevés par les êtres du peuple de la forêt d’en Face !

  • Le peuple de la forêt d’en Face ? Qui sont-ils ? Que pouvons-nous faire pour vous aider ? demande Tothan.

  • Je ne sais pas, ils sont loin maintenant, dit Dénothor. Je crains, qu’il ne soit trop tard pour faire quelque chose.

 

Tothan, Tauriel et Dollyth sont catastrophés, touchés par leur douleur.

  • Il faut faire quelque chose, s’écrit Tauriel. On ne peut pas rester là sans agir.

  • Que veux-tu faire, dit Dollyth, la voix tremblotante. Nous ne savons même pas dans quelle direction les chercher !

 

Tothan souhaite tenter quelque chose. Il ne veut pas rester là, les bras croisés, à regarder ses amis dans la peine.

  • Tauriel, Dollyth êtes-vous avec moi ? Nous devons les retrouver coûte que coûte.

  • Oui, nous te suivons, tes amis sont nos amis !

 

Comme un seul homme, ils s’enfoncèrent dans la forêt à la recherche de ce peuple tant craint. Tout au moins ils tentèrent de suivre le chemin emprunté par cet ennemi invisible.

Ils marchèrent pendant des heures, guettant toute trace des bébés elfons, fut ce t’elle minime.

 

Découragés et lassés de cette marche forcée, ils s’assoient sur les rochers près d’un torrent dont ils entendaient le bruit depuis un moment sans l’apercevoir.

Tothan se pencha sur l’eau pour s’abreuver, quand, à bout de force, il tomba dans le torrent comme aspiré et disparut.

 

Abasourdis, Tauriel et Dollyth sortirent de leur torpeur et cherchèrent Tothan.

  • Qu’est devenu Tothan ? questionne Tauriel. Où est-il parti ? Il s’est évaporé, comme ça ? Mais c’est incroyable !

  • Du calme, du calme, réfléchissons ! C’est un tour de magie qui vient de se passer ? Du calme, du calme ! Donc, cela signifie que nous sommes tout près de nos kidnappeurs, dit Dollyth avec retenue. Tauriel reste près de moi et, surtout, ne me quitte pas. Si, comme je le pressens, le village du peuple de la forêt d’en Face n’est pas loin, il faut être très prudents.

 

Ils cherchèrent autour d’eux les traces de Tothan, avançant à petits pas, presque sur la pointe des pieds aux alentours du torrent. Ils tournaient comme des girouettes toujours l’un près de l’autre. Ils craignent de se séparer et de voir l’un d’entre eux disparaître comme Tothan. Tout ceci dans un grand silence par crainte d’éveiller l’attention.

 

L’attention de qui ? Là est la question ! Ils n’entendaient que le vent dans les branches. Ils tentèrentde prendre contact avec l’âme des arbres, mais le silence régnait.

 

Pendant ce temps, que devenait Tothan ?

 

Eh bien il dort tranquillement, déposé délicatement sur un matelas de verdure moelleux.

Il ne perçoit pas la présence d’une très belle femme, grande, avec de longs cheveux châtains. Elle est vêtue d’une robe soyeuse de couleur verte. Elle ne marche pas mais flotte à quelques centimètres du sol. Sa voix est si mélodieuse telle une berceuse. Si on n’y prenait pas garde, on pourrait la confondre avec un elfe sylvain.

 

Qui est donc cette jolie dame qui se penche délicatement sur Tothan ?

 

C’est un membre important de la communauté de la forêt d’en Face.

 

Eh oui, sans le vouloir, Tothan est entré dans leur pays. À présent, il est dans un autre univers ! C’est étrange, car Dollyth et Tauriel sont ailleurs, comme s’il y avait deux univers distincts, sans connexion. 

 

Sans doute, est-ce pour cela que Tothan et ses amis ne se voient plus. Pourtant, ils sont les uns à côté des autres, simplement séparés par des espaces différents. Ceux-ci sont constitués d’énergie et de matière. Ils s’emboîtent l’un dans l’autre, la matière de l’un est le vide de l’autre. Pour se connecter à l’un d’eux, il faut trouver le portail qui le permet.

 

Cette belle femme en robe verte est la gardienne de la porte du peuple de la forêt d’en Face.

 

Elle se prénomme Kamina.

 

Préoccupée par l’arrivée de Tothan toujours endormi, elle réfléchit et se demande ce qu’elle doit faire. Doit-elle y voir une invasion soudaine ? Doit-elle prévenir le cénacle des souverains pour en discuter ? Ou tout simplement faire confiance à son intuition et attendre que l’intrus se réveille ?

 

Elle décide d’attendre ! Ce petit personnage ne lui semble pas menaçant. Il est si mignon avec sa frimousse parsemée de taches de rousseurs.

 

Kamina décide de le laisser dormir et quitte la pièce.

 

Pendant ce temps, Tothan rêve qu’il revient avec les elfons et il en sourit de contentement. Puis au bout d’un moment, il se réveille et s’étire. Il se lève difficilement et regarde autour de lui à la recherche de ses amis, en vain. Il a le sentiment de connaître cet endroit, mais sans en avoir aucun souvenir précis.

 

Au loin, il entend un chant, une sorte de mélopée bienveillante et envoûtante qui l’intrigue.

Il tente de marcher, mais titube. Il essaye de quitter la pièce sans y arriver. Il est prisonnier de

cette chambre. La crainte l’envahit et il s’inquiète aussi pour ses amis.

  • Que sont ils devenus ? Que fais-je ici ? Quel est ce lieu ? Se demanda-t-il tout bas.

 

Puis, il se mit à crier :

  • Tauriel, Dollyth où êtes-vous ? Y a-t-il quelqu’un ? Ho là ! dehors, j’entends votre musique, pourquoi ne me répondez-vous pas ? Je vous en prie qui êtes-vous ? Où suis-je ? Que me voulez-vous ? Pourquoi suis-je prisonnier ?

 

Tant de questions qui se bousculent sans réponses, Tothan désespère. Il observe autour de lui. La chambre n’est pas très grande. En son centre, un large lit confortable, sur le côté une petite table sur laquelle sont posés un bol d’eau fraîche et quelques fruits. Les murs sont blancs,  un tapis de couleurs indéfinissables - du vert au bleu en passant par le rouge et l’orange – recouvre le sol.

 

Tothan a faim et soif. Il renifle doucement l’eau. N’y tenant plus, il se jette sur le maigre repas. Rassasié, il se concentre sur la façon de s’évader. Il tente de quitter la pièce, pousser la porte ou bien ouvrir la fenêtre, il n’y arrive pas et il se sent de plus en plus fatigué. Il ne comprend pas ce qui lui arrive et tremble à l’idée que l’eau ne fut droguée.

 

Toujours cette mélodie incessante en bruit de fond. Il regarde par la fenêtre et n’entraperçoit qu’un fragment de ciel et quelques rares oiseaux.

 

Pendant ce temps, Kamina rencontre le cénacle des souverains pour leur parler de l’arrivée de Tothan. Ce cénacle est composé d’une partie des habitants de la forêt d’en Face. Ces derniers reçoivent le titre de souverain après avoir passé un certain âge et surtout avoir réalisé un pèlerinage dans les autres dimensions vibratoires de la planète.

  • Bonjour Mesdames, Messieurs du cénacle, dit-elle, je vous ai convoqués car ce matin un jeune garçon est entré par le portail du sud de la vieille ville. Je tenais à vous prévenir de cette arrivée impromptue. Il est enfermé dans l’aile ouest de la maison du guet.

  • As-tu interrogé cet enfant ? questionne le chef suprême des souverains. Pourquoi est-il là ?

  • Eh bien, non ! En fait, je l’ai retrouvé endormi et je n’ai pu l’interroger.

 

Tikna, la gardienne de la porte du nord prend la parole :

  • Penses-tu Kamina, que cela présage un danger pour notre peuple ? En t’écoutant, je ne pressens aucune crainte, aucun danger particulier !

  • Moi non plus je ne ressens rien. J’ai interrogé les oiseaux de protection, tout leur semble calme et serein.

 

Orkyo, le gardien de la porte de l’est, intervient à son tour :

  • Je m’étonne, car son apparition survient peu de temps après le retour de nos soldats avec les enfants « poudre d’or ». Cette arrivée devrait nous maintenir en alerte. Gardons ce garçon en captivité jusqu’à ce qu’il nous donne le motif de sa venue. Voila ce que j’en pense.

 

Toukino, le gardien de la porte de l’ouest acquiesce.

  • Kamina, reprend le chef suprême, je te demande d’interroger cet étranger et de ne le lâcher que lorsque tu seras sûre qu’il n’est pas dangereux pour notre peuple.

  • Je ferai ce que tu demandes, obéit Kamina

 

De retour à la porte du sud, Kamina se rendit dans la maison du guet.

 

Entendant du bruit venir de l’escalier, Tothan se mit à crier et appela à l’aide.

  • Au secours, il y a quelqu’un ? Je vous entends. Délivrez-moi !

 

Kamina pousse la porte qui n’était pas fermée, seule la musique, qui s’était arrêtée, empêchait son ouverture. Cette musique là a son utilité. Chaque son résonne de façon précise et chaque tonalité a une fonction : celle de guérir, celle de vivre en paix ou bien celle de garder les portes fermées.

 

Tothan veut s’enfuir, mais il reste cloué au sol. Il ne peut pas bouger. Kamina le regarde. Elle s’étonne de sa jeunesse et de la force qu’il dégage.

  • Bonjour, petit garçon. Je m’appelle Kamina, je suis la gardienne de la porte du sud. Je t’ai trouvé endormi au pied d’un arbre et je t’ai porté dans la maison du guet. Quel est ton nom ?

  • Mon nom est Tothan. Je viens de la plaine du Bien Tranquille. Je suis à la recherche de mes amis Tauriel et Dollyth. Où sont-ils ? Où les avez-vous enfermés ? Relâchez-les, sinon ... !

 

Tothan tente de s’élancer vers Kamina, mais il n’arrive à faire aucun geste, il est paralysé. Il s’énerve de cette impuissance.

  • Ou sinon quoi ? Tu vois bien, petit homme que tu ne peux agir. Tu te fatigues pour rien ! Parle-moi de tes amis ? Ils étaient avec toi ?

  • Vous le savez bien, vous les avez enfermés !

 

Toutefois, il voit bien que Kamina ne comprend pas.

  • Qui sont tes amis ? Pourquoi es-tu là ? Que nous voulez-vous ?

  • Mes amis et moi-même sommes venus pour…  Mais d’ailleurs où suis-je ? Je ne sais même pas comment je suis arrivé jusqu’ici. Nous étions à la recherche du peuple de la forêt d’en Face qui a enlevé les enfants du peuple des elfes. Faites-vous partie du peuple de la forêt d’en Face ?

  • Je ne sais pas qui est ce peuple. Ce qui est sûr ! C’est que nous protégeons notre communauté et personne n’arrive jusqu’à nous comme tu l’as fait. Dis-moi comment es-tu arrivé jusqu’ici ?

  • Comme je vous le disais. Avec mes amis, nous étions dans la forêt à la recherche des enfants enlevés par le peuple de la forêt d’en Face. Et nous voulons les ramener à leurs parents !

  • Je vois ! Je crains qu’il y ait un souci, petit homme. Je comprends, vous nous appelez le peuple de la forêt d’en Face. En réalité, nous sommes le peuple du monde Allant Vers. Je ne sais pas où sont tes amis. Quant aux enfants « poudre d’or », nous ne pouvons vous les rendre. Ils participeront à notre grand rituel et ne rentreront pas avec toi.

  • Kamina, j’entends bien ce que tu me dis. L’enlèvement de ces enfants est un drame à la fois pour leur famille mais aussi pour leur peuple. La disparition des elfons est pleurée par leurs parents jusqu’au désespoir. Privés de poudre d’or, les elfes périssent très vite ! Cette poudre leur permet de passer de l’adolescence à l’âge adulte et elle nourrit également la Terre. Elle entretient la vie des elfes ! Tu dis que ces enfants subiront un rituel qui va aider tes semblables à survivre à travers les temps. Crois-tu que convoiter les richesses des autres peuples est honorable ? Pourquoi ne cherchez-vous pas vos propres richesses ? Vous êtes un grand peuple, votre réputation dépasse vos frontières. Même si nous savons peu de choses sur vous, vous semblez être non-violents. Malgré cela, vous attaquez la terre du Milieu et cela se termine par des drames. Oh ! non pas chez les vôtres, mais chez les elfes. Pourquoi, ne pas en parler à vos anciens et organiser une rencontre entre vos deux peuples pour apprendre à mieux vous connaître ? Je ne suis pas un elfe, uniquement un petit homme qui aime les êtres de la nature, quels qu’ils soient. Chaque personne tient un rôle dans l’Univers, chacun a une mission. Mieux vous connaître éviterait bien des drames de part et d’autre. Je ne suis pas grand, mais je te le redis, j’aime trop les êtres de la nature pour n’être ici qu’un témoin impuissant ou peu concerné.

 

Kamina scrute Tothan en silence, il rougit en prenant conscience qu’il a prononcé son discours d’un seul souffle.

 

Elle trouve ce petit bonhomme plein de bon sens. Elle avait déjà jugé ces sorties trop brutales. En effet, les retours des soldats avec les enfants poudres d’or étaient, la plupart du temps, accompagnés de larmes et de cris. Elle ne le supportait plus, car cela ne correspondait pas à ses valeurs. Elle avait abordé ce sujet lors d’un précédent cénacle des souverains, sans résultat, ni issue. Il est plus facile de continuer à faire comme d’habitude même si les coutumes ne sont plus adaptées.

 

Elle voit là un moyen de rediscuter de cette tradition.

  • Tothan tu m’as convaincue que rien ne peut se faire sans concertation. Je vais, de ce pas, réunir le cénacle des souverains et leur parler de la survie du peuple des elfes. En attendant, tu peux te promener en dehors de la maison.

  • Kamina, je t’accompagne. Je pourrai convaincre vos anciens de nous rendre les enfants.

  • Quand le moment sera venu, tu les rencontreras, mais pas maintenant. Je me suis inquiétée de tes  amis, ils dorment tous les deux, juchés sur un arbre dans l’autre monde. Tu les retrouveras bientôt !

  • Bien, qu’il en soit ainsi ! 

 

Kamina le laissapartir en ville. Tothan ne se reconnaissaitplus. Il avait le sentiment d’être un autre personnage. Il avait gagné en maturité, en sagesse, dans son corps d’enfant. Cela le troublait. Il pensait que c’était bien de devenir grand plus vite. Mais, il avait encore envie de s’amuser et de courir partout.

  • Vivement que je retourne auprès de mes amis !se dit-il tout haut, avant de se reprendre et de penser à sa mission. Ok, je mène à bien cette mission et, de retour dans l’autre monde, je redeviens un petit garçon plein de fougue, d’envie de jeux. J’ai hâte de revoir mes copains, ils me manquent tant !  

 

Après le départ de Kamina on entendit, à nouveau, la musique aux effets magiques. Le pouvoir de cet air lancinant tenait Tothan dans un isolement, voulu par Kamina. Délicatement il ouvrit la porte et regarda autour de lui. Il descendit doucement les marches. Il fit quelques pas dans la ruelle et arriva sur une place où se tenait un petit marché.

 

Plein de curiosité, Tothan déambulait à travers les étals où fruits et légumes se mélangeaient. Cette palette de couleurs attira son regard. Il observa autour de lui. Il croisa des hommes et femmes occupés à leur labeur, les uns organisant leur emplacement afin de mieux vendre leurs produits et les autres flânant entre les étals à la recherche de victuailles.

 

Il s’approcha du marchand de fruits pour lui parler, mais celui-ci ne semblait  pas le voir. Il se retourna et se dirigea vers des femmes qui discutaient entre elles. Celles-ci passèrent leur chemin sans le regarder, comme s’il était invisible. Tout au long de sa balade, il ne sera ni inquiété ni interpellé. Personne ne s’étonnait de sa présence. Il ne pouvait entrer en contact avec aucun des habitants de ce village. Il en sera ainsi tant que le cénacle des souverains n’aura pas donné son accord.

 

Malgré tout, il continua sa promenade, mais s’ennuya rapidement. Il retourna alors dans la petite maisonnette.

 

Pendant ce temps-là, Kamina réunit le cénacle des souverains et les gardiens des autres portes.

  • Eh bien, Kamina qu’as-tu à nous dire ? demande le Suprême des souverains. As-tu des informations concernant la venue de ce petit garçon ? 

  • Je vous salue et vous remercie d’avoir répondu à mon appel. Je vous sais très occupés. Tothan, c’est son nom, m’a donné la raison de sa venue ; il souhaite ramener les enfants « poudre d’or » chez eux. Il m’a expliqué qu’ils sont pleurés par leur famille. Et que, lorsque nous les renvoyons chez eux privés de leur poudre d’or, cela nuit à leur survie et à celle de leur peuple.

  • Lui as-tu dit que nous ne pouvions lui rendre ces enfants avant notre rituel de passage ?

  • Oui, je l’ai fait. Néanmoins, il a tellement plaidé leur cause et les conséquences des enlèvements du peuple des enfants « poudre d’or », qu’il serait sage d’y réfléchir ! 

  • Réfléchir à quoi Kamina ? Serais-tu en train de renier toute une tradition du peuple Allant Vers ?

  • Non bien sûr, je ne la renie pas. Au contraire, elle est la conscience collective de notre peuple. Mais peut-être qu’une partie de cette mémoire est issue d’une illusion, celle de croire que nous devons nous enduire de poudre d’or. Pourquoi ne pas croire plutôt en notre capacité, en notre pouvoir, tout simplement. Nous avons toujours pointé l’importance du rituel dans notre coutume pensant que cela ouvrait une porte vers d’autres dimensions. Du rituel, oui il en faut, car il installe un espace privilégié dans un temps sacré. Le peuple Allant Vers a toujours cru que cette initiation était nécessaire pour être consacrée. Comme si cette exposition au grand jour lui conférait un caractère traditionnel. La richesse est en nous et non à l’extérieur de nous. Nous avons cru que pour grandir nous devions nous enduire d’or, tout en enlevant les enfants d’un autre peuple qui, par notre faute, se meurt. Sommes-nous si cruels que cela,  pour ne pas réfléchir un instant sur cette pratique et l’arrêter ? Je vous le demande de cœur à cœur, pouvons-nous continuer à faire comme si de rien n’était, alors que nous connaissons la fin tragique du peuple des enfants « poudre d’or ». La tradition est le souvenir de ce qui a été, nous avons le devoir de la transmettre, mais nous devons enrichir nos us et coutumes. Je vous propose que nous y réfléchissions ! Ne croyez-vous pas ?

  • Kamina, ta réflexion est d’une très grande sagesse. Je ne peux te répondre immédiatement même si cela fait écho en moi. Je dois en débattre avec les suprêmes du cénacle des souverains. Je vois que tu as convaincu les autres gardiens des portes. Tu auras une réponse dans 21 jours, le soir de la pleine Lune.

  • Je te remercie d’avoir accueilli ma demande, Suprême des souverains !

 

Au bout des 21 jours, le cénacle se réunit à nouveau.

  • Kamina, j’ai exposé tes sollicitations au cénacle. Voilà, ce que les Suprêmes des souverains  m’ont dit : Un extrême doute nous habite. Depuis fort longtemps nous pratiquons ce rituel. Nous n’avons pas les moyens de produire cette poudre, c’est pourquoi, nous enlevons les enfants Or. Revenir sur cette tradition nous semble compliqué à l’égard de nos ancêtres qui ont consacré leur vie et leur règne à maintenir ce rituel. Néanmoins, notre cénacle a le devoir de faire évoluer notre peuple vers le meilleur et ne plus se raccrocher au passé au prétexte d’une unique vérité. Certes, c’est cela qui nous a conduit là où nous en sommes. Changer d’orientation nous semble aujourd’hui plus sage. Jusqu’ici nous n’avions aucune connaissance des conséquences de nos actes. Après t’avoir écouté, nous ne pouvons maintenir notre vie au détriment d’une autre. Jamais par la destruction d’un peuple qu’il soit du règne minéral, végétal, animal ou humain. Jusqu’ici nous avons vécu dans une sorte d’illusion, pensant que ce rituel était notre sauvegarde. En réalité, il n’en est rien. Chacun porte en lui un pouvoir personnel, son pouvoir. Chaque membre de notre communauté contribue à maintenir l’équilibre de notre sauvegarde. Après concertation nous décidons, en cet instant, de ne plus pratiquer cette cérémonie, de ne plus enlever d’enfants du peuple des elfes. Aujourd’hui, nous décidons de nous consacrer à nous unir par le biais de l’amour. Voilà, Kamina, leur message. Je te propose d’en avertir Tothan et de lui faire savoir que les enfants qui ont été enlevés retrouveront leurs parents prochainement sans perte de mémoire.

  • Je te remercie, Suprême, d’avoir été notre porte parole. Je suis ravie que cela se termine bien pour  tous. Tothan a souhaité vous rencontrer, que dois-je lui dire ?

  • Dis lui, que chaque chose vient en son temps et que celui-ci viendra plus vite que prévu !

  • Je te remercie pour ces paroles.

 

Le cœur plus léger, Kamina prit le chemin du retour, heureuse d’apporter cette bonne nouvelle.

Kamina retrouva Tothan faisant les cent pas dans le jardin.

  • Bonjour Tothan, le cénacle des souverains m’envoie t’apporter sa réponse. La décision a été prise de mettre fin aux enlèvements des jeunes enfants du peuple d’elfes et de délivrer ceux qui se trouvent encore chez nous. Les enfants poudre d’or retrouveront leurs parents rapidement. Tu avais souhaité rencontrer les souverains. Ils pensent que ce n’est pas opportun pour le moment. Ils te proposent de retourner chez toi afin de faire part de la décision du peuple Allant Vers. En attendant, je te demande de ne pas dévoiler le chemin qui t’a permis d’arriver jusqu’ici.

  • J’apporterai vos bonnes paroles au peuple des elfes ainsi qu’à mon peuple.

 

Kamina raccompagna Tothan au lieu même où elle l’avait trouvé et lui souhaita un bon retour.

Sans savoir comment, Tothan se retrouva auprès de ses amis. Juchés sur un arbre, Dollyth et Tauriel dormaient. Il les regarda avec beaucoup de tendresse et un regard polisson.

  • Voilà, je vous laisse deux minutes et vous en profitez pour dormir. Vous faites de sacrés compagnons sur qui je peux compter !

 

Tauriel battit des ailes et Dollyth, surpris, se raccrocha aux branches. Trop contents de retrouver Tothan sain et sauf, ils s’exclamèrent :

  • Où étais-tu passé ? Nous t’avons vu disparaître dans la rivière ? Nous étions inquiets !

  • Oui, vous sembliez inquiets, lovés dans les bras l’un de l’autre !

  • Super, super, super ! Raconte-nous, que t’est-il arrivé ?

  • J’ai rencontré une très belle dame, habillée de vert, qui flottait dans l’air sans ailes !

  • Arrêtes, tu nous fais marcher ! Personne ne flotte dans l’air sans ailes !

  • Eh bien, celle-ci, oui. Elle s’appelle Kamina et …

  • Tothan, arrête ! Dis-nous as-tu vu les enfants du peuple des elfes ? s’exclament de concert Dollyth et Tauriel.

  • Le peuple Allant Vers, c’est leur nom, a décidé d’arrêter de voler les enfants elfes et m’envoie proposer la paix. Les enfants seront rendus à leurs parents bientôt !

  • Waouh, tu as réussi, génial !

  • Dépêchons-nous de retourner auprès de Dénothor et de Déyathy. Apportons leurs la bonne nouvelle !

 

Et sur le chemin du retour…

  • Attends, arrête Tothan ! Comment peut-on flotter dans l’air sans ailes, n’importe quoi ?

  • Bien sûr que oui ! Toi, Tauriel, tu voles bien et en plus je n’ai jamais mis en doute tes capacités de magicienne ! dit Tothan malicieux.

  • D’abord ! Je ne suis pas une magicienne. Je suis une Fée Enchantée et je ne fais pas de magie. Je prends ma baguette seulement quand c’est nécessaire !

 

Tout le long de leur retour il y eut force quolibets et rires. Tothan raconta avec conviction son aventure. Tauriel, encore émue, se moqua des propos de Tothan. La routine en somme !

 

Tout en sifflotant, Dollyth se tenait à l’écart et regardait ses amis avec tendresse.

Il est dit qu’arrivés au village des elfes, nos amis furent reçus à bras ouverts. Une grande fête fut organisée dès le retour des bébés elfons encore tout effrayés de leur mésaventure. À cette occasion, le conseil des Sages fut invité ainsi que Mamita et Pépito. Un moment unique et heureux pour tous.

 

Encore chamboulés, nos trois amis se retrouvèrent à l’abri sous un arbre. Ils décidèrent alors de créer un club, qui a pour nom …

 

La fin de l’histoire ne nous le dit pas, car nos trois amis se sont endormis.

 

Chut !

 

À bientôt pour d’autres aventures.

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